Évoquer la notion de durabilité pour la vigne, plante multi-millénaire, et le vin, tous deux intimement liés aux origines de notre civilisation, peut paraître un non-sens. Le vin revêt en effet une dimension culturelle, voire cultuelle intemporelle, qui recouvre tout à la fois les sciences, les savoir-faire ancestraux, la sociologie, les religions. C’est dire que notre filière a imprimé une marque indélébile, une symbolique immortelle, dans l’évolution du monde.

En fait l’expression durable vient de l’anglais « substainable » qui est traduit selon le dictionnaire par « soutenable » (supportable, vivable) ou « durable » (viable). Ce dernier terme est le plus couramment retenu. Il traduit fidèlement l’esprit d’un type de développement, formalisé par le rapport Brundtland, à l’origine du concept : un développement qui répond aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs.

L’histoire de l’humanité, associée au développement des sciences, s’inscrivait jusqu’à présent dans un contexte expansionniste. Toute avancée scientifique offrait de nouvelles perspectives de développement, qui semblaient sans limite. Force est de constater maintenant que les capacités d’adaptation de notre planète ne sont pas infinies. Ainsi, au-delà des impacts locaux, nos terroirs et chacun d’entre nous, seront demain soumis à un effet de « boomerang planétaire », directement lié à l’effet cumulatif de nos comportements individuels.

La vigne et le vin s’intègrent dans ce contexte sociétal évolutif. Après avoir bénéficié des avancées scientifiques et technologiques, l’heure est maintenant aux interrogations aux doutes et parfois aux peurs ou aux psychoses, suscitées par la modernité. À l’image d’un pendule, cette évolution, autrefois teintée d’un scientisme parfois excessif, a laissé la place à un scepticisme, souvent empreint d’un passéisme nostalgique. Le sensible reprend ses droits, souvent de manière démesurée, sur l’esprit cartésien.

Ainsi la préservation de l’environnement et plus globalement la Viticulture Durable, s’intègrent progressivement dans la plupart des itinéraires techniques viticoles et œnologiques. L’utilisation des produits de protection des plantes et des intrants œnologiques, l’entretient des sols, la gestion de l’eau et des déchets sont des thématiques soumises à des contraintes croissantes, en liaison avec la santé des utilisateurs et des consommateurs. Dans le prolongement des enjeux parcellaires et territoriaux, se dessine une vision planétaire interdépendante et intergénérationnelle, qui dépasse le cadre de l’exploitation viticole ou de la cave. La qualité de l’air, la préservation de la biodiversité et des paysages sont autant de sujets déterminants pour la vie de nos enfants.

Dans ce cadre le développement durable met en lumière l’évolution probable du climat, révélatrice d’un effet anthropique à long terme sur la planète. Ce débat complexe, soumis à de nombreuses incertitudes, s’enrichit d’un regard viticole historique. Si le vin a été l’initiateur dans la compréhension scientifique de la microbiologie, grâce aux travaux de Pasteur, la vigne pourrait bien éclairer, grâce à l’analyse du ban des vendanges, l’évolution passée et future du climat. La filière viticole, souvent sur la défensive, doit pouvoir également valoriser sa contribution positive à la durabilité. Au-delà du plaisir et de la convivialité que suscite le vin, la vigne participe notamment à une multifonctionnalité territoriale. Le terroir, exemple d’écosystème culturel, dépasse la simple valorisation économique du raisin. La lutte contre les incendies, la contribution patrimoniale paysagère, le maintien de l’activité en zone rurale, sont autant d’externalités non rémunérées, dont bénéficie l’ensemble de la société.

L’ouvrage développe une pluridisciplinarité qui s’impose dans le concept de durabilité. Bien évidemment l’adaptation des itinéraires techniques viticoles et œnologiques, cœur de l’ouvrage, est développé dans le détail, depuis le cep jusqu’à la bouteille. Mais parallèlement au savoir-faire, l’organisation optimale de l’exploitation et de la cave, les dynamiques collectives, sont indispensables à une transcription concrète du concept. De même, la connaissance du cadre réglementaire, des outils économiques et des supports de communication sont des préalables indispensables à la formalisation de démarches.

Synthèse d’une expérience de conseil, d’expérimentation, d’enseignement, d’une confrontation aux contraintes pratiques sur l’exploitation familiale, l’ouvrage s’efforce de répondre aux étudiants, enseignants et conseillers en quête d’informations concises, enrichies de nombreuses illustrations. C’est également un support pour les professionnels désireux d’étayer leurs stratégies techniques, réglementaires et organisationnelles, avec des clés de décision et des données concrètes. En complément, le lecteur a la possibilité d’approfondir ses connaissances à partir de liens Internet et de références bibliographiques, précisés pour chacun des chapitres. Au-delà du contexte viticole français, les exemples étrangers éclairent la compréhension, avec le recul nécessaire, des situations locales spécifiques.

Citation :
« L’Occident a longtemps cru que la modernité était le triomphe de la raison, la destruction des traditions, des appartenances, des croyances, la colonisation du vécu sur le calcul.
Mais, aujourd’hui, toutes les catégories qui avaient été soumises à l’élite éclairée, travailleurs et colonisés, femmes et enfants, se sont révoltées et refusent d’appeler moderne un monde qui ne reconnaît pas à la fois leur expérience particulière et leurs accès à l’universel. De sorte que ceux qui s’identifient à la raison apparaissent désormais comme les défenseurs d’un pouvoir arbitraire […] La modernité est faite des complémentarités et des oppositions entre le travail de la raison, la libération du sujet et l’enracinement dans un corps et dans une culture ».
Alain TOURAINE - Critique de la modernité, 1992, Éditions Fayard.