En droit féodal, le seigneur haut justicier dispose du pouvoir d’établir des règlements et des proclamations publiques (droit de ban), sur l’étendue de son domaine. Ainsi, par ban, le seigneur s’attribue, dès le XIe siècle, le monopole d’installations telles que four, forge, pressoir, moulin à grain, moulin à huile ; il en résulte, pour les habitants de la seigneurie, l’obligation d’utiliser ces installations, dites banales, contre redevances (souvent en nature).
En outre, le seigneur, avec le « banvin » se réserve de vendre son vin avant les autres producteurs de la seigneurie. Le droit de ban, ou « Bannus », était originellement venu de Germanie et donnait aux souverains des deux premières dynasties, mérovingienne et carolingienne, un pouvoir de commandement théoriquement sans limites. C’est à la faveur de l’anarchie du IXe siècle que les comtes usurpent ce droit que les Capétiens reprendront à partir du XIIe siècle, et surtout au XIIIe siècle.
Au cours des âges et à des titres divers, toutes les classes de la société étaient intéressées par les vendanges. L’intérêt, le prestige, la gourmandise, le besoin de « s’esbaudir » y trouvaient leur compte. Parlements et Universités se mettaient en vacances pour permettre aux notables personnes « de pourvoir aux vins ». Cette précieuse récolte n’avait pas, on le sait, que les seuls tenanciers comme part prenante. Seigneurs et décimateurs avaient leurs droits à sauvegarder et, dans ces époques à réglementation outrancière, les vendanges ne pouvaient échapper à des entraves si volontiers tendues. D’une manière générale, en France, le tenancier ne pouvait pas récolter ses raisins sans l’autorisation du seigneur, donné après inspection des vignes. Il fallait donc pour commencer les vendanges obtenir le cry, congié et licence de son seigneur. C’est ce qu’on a appelé plus tard, le ban des vendanges, institution qui survécut à la féodalité.
Ce serait cependant trop restreindre la portée du ban des vendanges, que de lui attribuer uniquement la facilité de percevoir des redevances. Il avait aussi pour dessein plus noble, la recherche de la qualité, car les experts envoyés dans les vignes pour fixer la date du ban, avaient pour mission essentielle de s’assurer que les raisins avaient atteint la parfaite maturité à l’ouverture du ban.
À Gaillac, on allait jusqu’à réglementer les heures de cueillette pour éviter une baisse de la richesse saccharine provoquée par la rosée du matin. Au clos de Vougeot, on vendangeait en deux fois pour récolter en premier lieu les raisins des provins de moins de 6 ans, dont la qualité était inférieure à celle des fruits des vignes plus âgées, et de plus, un moine se tenait lors des vendanges, dans l’une des tours du château et sonnait la cloche pour faire interrompre le travail, dès que pointait à l’horizon un nuage soupçonné d’apporter de la pluie.
La pratique du ban avait aussi l’avantage d’empêcher les déprédations dans les vignes chargées de fruits et de réprimer le maraudage. Bien qu’ils soient durement traités, les maraudeurs étaient une des plaies de la viticulture dans l’ancien régime. La rigueur de la répression, en la matière, peut se concevoir avec quelques exemples.
Pour préserver les vendanges dès pillards, celles-ci étaient gardées par des gardes messiers ou vigniers. Ils étaient choisis par les habitants réunis en assemblée spéciale et investis par les baillis, prévôts, ou autres juges seigneuriaux devant lesquels ils prêtaient serment. En tous lieux viticoles, le processus en usage était le même. Les seigneurs ou baillis, maires ou syndics, consuls ou échevins, désignaient ou faisaient désigner des experts ou prud’hommes, chargés de vérifier la maturité du raisin ; dès que celle-ci était déclarée par eux suffisante, le ban des vendanges était proclamé.
À Beaune, dit J. Lavalle, les magistrats se rendaient au jour fixé et de grand matin, à l’église Saint-Étienne et entendaient la messe, à l’issue de laquelle le trompette de la ville, proclamait le ban des vendanges. Cette coutume fut observée jusqu’à la Révolution.
À Dijon, le cérémonial était différent et plus pompeux. Le jour de la Saint-Laurent, le 10 août, le vicomte mayeur se rendait à l’église Saint-Philibert. Après la messe, il prenait place en grand appareil sous le porche, pour y recevoir le serment des vigniers, que les seigneurs et jurés vignerons lui présentaient. Dès ce moment, il n’y avait pas que des voleurs à éloigner des vignes. Dans toutes les coutumes étaient prévus les dommages pouvant être causés par les bêtes entrant dans les vignes d’autrui. Le propriétaire des animaux divagants est tenu de payer les dommages et les animaux eux-mêmes sont sévèrement châtiés.
En ce qui concerne les humains, de très nombreux procès sont relevés contre des vignerons ayant cueilli leurs raisins avant la publication du ban des vendanges. Les sanctions appliquées étaient habituellement l’emprisonnement du tenancier, l’expulsion des vendangeurs et la confiscation de la récolte.
La proclamation du ban se faisait toujours avec éclat « La justice municipale de Dijon, dit M. J. Lavalle, s’étendant sur plusieurs villages de la banlieue, le maire, les échevins, le syndic et le secrétaire, à cheval, escortés des sergents, des jurés-vignerons, du trompette, proclamaient d’abord le ban dans les principaux carrefours de la ville ; puis cette « chevauchée de banchiers » parcourait certains points désignés du territoire où se trouvaient les vigniers, qui présentaient au maire un pain, une frottée d’ail et du sel. Mais de ce que la proclamation était faite, il ne s’ensuivait pas que tout propriétaire eut le droit de vendanger, même en se conformant au ban.
Durant longtemps, une dernière formalité fut indispensable. À l’aube de chacun des jours fixés pour la récolte, le vicomte-mayeur, entouré de ses sergents portant des torches, se rendait sur la place où étaient rassemblés les vendangeurs et les charretiers, Là, il procédait à « l’abandonnement du ban » ; c’est-à-dire que le trompette de la ville, après avoir sonné trois fois, criait le point du territoire qui devait être vendangé le jour même, après quoi chacun arrêtait ses travailleurs et partait avec eux.
À Bordeaux, la grosse cloche de l’hôtel de ville, mise en branle seulement pour les grandes occasions, sonnait pour le ban des vendanges. Le registre de la Jurade de 1717 porte la délibération suivante :
« Du samedi 2 octobre 1717. A été délibéré que la grande cloche de l’hôtel de ville sonneroit lundy prochain 4 du présent mois, depuis les 9 heures du matin jusqu’à 10, et à une heure de l’après-midy jusqu’à deux heures, pour indire la permission de vendanger dans les terres dépendantes de la ville, conformément à l’usage ».
Quelque temps avant les vendanges, le tenancier devait demander à son bailleur un garde chargé de le représenter pour percevoir l’agrière. Pendant que les vendangeurs s’affairaient dans les vignes, les gardes arrivaient porteurs de billets, indiquant le taux de la redevance et inscrivaient sur ces billets, la quantité de raisins qu’ils recevaient. C’étaient l’agrière portable au pressoir du seigneur, du prieuré ou du chapitre.
Dans certains cas, lorsqu’il existait la banalité du pressoir, toute la vendange allait au pressoir du seigneur et celui-ci prélevait, pour écraser le raisin, une part supplémentaire de récolte.
Le ban des vendanges ne fut jamais une affaire d’État, il était simplement inscrit dans la plupart des coutumiers. La Révolution française le considéra comme un des droits féodaux reconnus odieux par la Nation, aussi la Constituante inscrivit dans une Loi de 1794 la déclaration suivante : « Chaque propriétaire sera libre de faire sa récolte de quelque nature qu’elle soit, à l’époque qui lui conviendra, pourvu qu’il ne cause aucun dommage aux propriétaires voisins. Cependant, dans les pays où le ban des vendanges est en usage, il pourra être fait chaque année, un règlement par le Conseil de la commune ».
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